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Classe ouvrière et syndicalisme

Les textes qui suivent soulignent l'incompatibilité de nature entre la classe ouvrière, les syndicats et les partis politiques. La classe ouvrière est la seule à même de rompre avec le capitalisme en s'organisant sous forme de comités autonomes.

Le syndicalisme qui œuvre à l'intérieur du capitalisme pour y améliorer le sort des travailleuses et travailleurs pour autant qu'ils/elles acceptent leur état de soumission aux directions syndicales ne peut pas rompre avec les structures du capital qui leurs offrent leur légitimité et leurs moyens d'action.

Classe ouvrière et syndicalisme, mai 2023Le syndicalisme, Anton Pannekoek, 1936

Le suffrage universel et les partis politiques ne sont, de la même façon, que de pâles reflets de luttes qui ne promeuvent que le rêve du grand soir tout en dominant et dirigeant le prolétariat.

Sortir de la domination des syndicats et des partis politiques est la voie de la libération de la classe ouvrière.

Les différences entre les mouvements marxistes, léninistes, trotskystes, communistes internationalistes, communistes de gauche, conseillistes, etc s'articulent autour des réponses apportées à cette incompatibilité.

Le but du syndicalisme n'est pas de remplacer le système capitaliste par un autre mode de production, mais d'améliorer les conditions de vie à l'intérieur même du capitalisme. L'essence du syndicalisme n'est pas révolutionnaire mais conservatrice. (…) Il existe donc une différence entre la classe ouvrière et les syndicats. La classe ouvrière doit regarder au-delà du capitalisme, tandis que le syndicalisme est entièrement confiné dans les limites du système capitaliste. (…) Le syndicalisme ne peut représenter qu'une part, nécessaire mais infime, de la lutte des classes. En se développant il doit entrer en conflit avec la classe ouvrière, qui, elle veut aller plus loin. (…) Toutefois, chaque petite victoire est un progrès en soi. Car elle entraîne avec elle une vague de solidarité ouvrière : Les masses prennent conscience de la puissance de leur unité. À travers l'action, les travailleurs comprennent mieux ce que signifie le capitalisme et quelle est leur position par rapport à la classe dirigeante. Ils commencent à entrevoir le chemin de la liberté. La lutte sort ainsi du domaine étriqué du syndicalisme pour entrer dans le vaste champ de la lutte des classes. C'est alors aux travailleurs eux-mêmes de changer. Il leur faut élargir leur conception du monde et regarder au-delà des murs de l'usine vers l'ensemble de la société. Ils doivent s'élever au-dessus de la mesquinerie qui les entoure et affronter l’État.

Les syndicats contre la révolution, Benjamin Péret et Grandizo Munis, 1960

Contre cette gauche allemande et hollandaise, Lénine écrivit alors La Maladie infantile du communisme, à laquelle Hermann Gorter répliqua par une Réponse à Lénine qui comporte une critique des syndicats encore entièrement valable aujourd’hui. Il dit en substance que les syndicats convergent vers l’état et tendent à s’y associer contre les masses, que les ouvriers n’y ont pratiquement aucun pouvoir, pas plus que dans l’état, qu’ils sont impropres à servir d’instrument pour la révolution prolétarienne et que celle-ci ne peut vaincre qu’en les détruisant. Disons-le bien haut, dans cette polémique (dont la IIIème Internationale ne nous fit connaître que l’argumentation de Lénine, omettant de publier celle des opposants), c’était Gorter qui avait pleinement raison, du moins sur ce point. Dans cette brochure, il oppose aux syndicats, où les ouvriers n’ont pratiquement pas d’autre pouvoir que celui de payer les cotisations, le comité ou conseil d’usine démocratiquement élu par les travailleurs sur les lieux de travail, dont les membres placés sous le contrôle immédiat et constant de leurs mandants sont révocables à tout moment. Ces comités sont de toute évidence l’émanation même de la volonté des masses en mouvement dont ils facilitent l’évolution. C’est pourquoi, dès qu’ils apparaissent, même sous la forme provisoire des comités de grève, ils sont autant aux prises avec les dirigeants syndicaux, dont ils menacent le pouvoir sur les ouvriers, qu’avec les patrons. Les uns et les autres se sentent également menacés, et de la même manière, si bien qu’en général les dirigeants syndicaux s’entremettent entre patrons et ouvriers pour faire cesser la grève. Je suis convaincu qu’aucun travailleur ayant participé à un comité de grève ne me contredira, surtout en ce qui concerne les grèves des dernières années. Il est d’ailleurs normal qu’il en soit ainsi puisque le comité de grève représente un nouvel organisme de lutte, le plus démocratique qu’on puisse concevoir. Il tend, consciemment ou non, à se substituer au syndicat qui défend alors les privilèges acquis en cherchant à réduire les attributions que le comité de grève s’est accordées. Qu’on juge alors de l’hostilité des syndicats à un comité permanent, appelé par la logique même des choses à se les subordonner et à les supplanter !

Déclaration de l’assemblée ouvrière et étudiante de Turin, 1969

Nos revendications ne sont pas une plate-forme revendicative alternative, ils sont une lutte contre les contrats, contre la trêve planifiée par les syndicats, contre l’organisation du travail ; Une lutte qui ne peut être résolue par quatre grèves bidon programmées avec le patron. Par conséquent, notre autonomie vis-à-vis des patrons devient aussi autonomie vis-à-vis des syndicats qui acceptent de fixer avec les patrons les règles d’une juste exploitation des ouvriers.

Parti et classe ouvrière, Anton Pannekoek

Nous n’en sommes qu’aux tous premiers débuts d’un nouveau mouvement ouvrier. L’ancien mouvement s’incarne dans des partis, et la croyance au parti constitue aujourd’hui le frein le plus puissant à la capacité d’action de la classe ouvrière. C’est pourquoi nous ne cherchons pas à en créer un nouveau, et cela non parce que nous sommes trop peu nombreux – un parti, quel qu’il soit, est petit à l’origine – mais parce que de nos jours un parti ne peut être qu’une organisation visant à diriger et à dominer le prolétariat. À ce type d’organisation, nous opposons le principe suivant : la classe ouvrière ne pourra s’affirmer et vaincre qu’à condition de prendre elle-même son destin en main. Les ouvriers n’ont pas à adopter religieusement les mots d’ordre d’un groupe quelconque, pas mêmes les nôtres, mais à penser par eux-mêmes, à décider et agir eux-mêmes. C’est pourquoi, en cette période de transition, nous considérons comme leurs organes de clarification naturels les groupes de travail, les cercles d’études et de discussion, qui se sont formés d’eux-mêmes et cherchent eux-mêmes leur voie.
Les partis ouvriers actuels (…) ont d’ailleurs un but différent : prendre le pouvoir et l’exercer à leur seul profit. Loin de chercher à contribuer à l’émancipation de la classe ouvrière, ils entendent gouverner eux-mêmes et présentent cela sous les couleurs de la libération du prolétariat. La social-démocratie, dont l’essor remonte à la grande époque du parlement, conçoit ce pouvoir sous les aspects d’un gouvernement appuyé sur une majorité parlementaire. Le Parti communiste, quant à lui, pousse la volonté de domination jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes : la dictature du parti.

La révolution n’est pas une affaire de parti, Otto Rülhe, 1920

La révolution n'est pas une affaire de parti. Les partis [...] ont la folie de considérer la révolution comme leur propre affaire de parti et de proclamer la victoire de la révolution comme leur but de parti. La révolution est l'affaire politique et économique de la totalité de la classe prolétarienne. Seul le prolétariat en tant que classe peut mener la révolution à la victoire. Tout le reste est superstition, démagogie, charlatanerie politique. Le parlementarisme apparut avec la domination de la bourgeoisie. Avec les parlements apparurent les partis politiques. L'époque bourgeoise trouva dans les parlements l'arène historique de ses premières démêlées avec la couronne et la noblesse. Elle s'organisa politiquement et donna à la législation une forme correspondant aux besoins du capitalisme. Mais le capitalisme n'est pas quelque chose d'homogène. Les diverses couches et les divers groupes d'intérêts à l'intérieur de la bourgeoisie firent valoir chacun leurs revendications de nature différente. C'est pout faire aboutir ces revendications que naquirent les partis qui envoyaient leurs représentants et leurs acteurs aux parlements. Aussi le parlement se transforma-t-il en un forum, lieu de toutes les luttes pour le pouvoir économique et politique, pour le pouvoir législatif d'abord, mais ensuite également, dans le cadre du système parlementaire, pour le pouvoir gouvernemental. Mais les luttes parlementaires, comme les luttes entre les partis, ne sont que des combats de mots. Programmes, polémiques journalistiques, tracts, rapports pour les réunions, résolutions, discours parlementaires, décisions — rien que des mots. Le parlement dégénéra en salon à bavardages (de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait), mais dès le premier jour les partis n'étaient que de simples machines à préparer les élections. Ce n'est pas par hasard s'ils s'appelaient à l'origine « unions électorales ». Bourgeoisie, parlementarisme, partis politiques se conditionnent mutuellement, réciproquement. L'un est nécessaire à l'autre. Aucun n'est concevable sans l'autre. Ils marquent la physionomie politique du système bourgeois, de l'époque capitaliste-bourgeoise.

La Société du Spectacle, Guy Debord, 1967

L’organisation révolutionnaire ne peut être que la critique unitaire de la société, c'est-à-dire une critique qui ne pactise avec aucune forme de pouvoir séparé, en aucun point du monde, et une critique prononcée globalement contre tous les aspects de la vie sociale aliénée. Dans la lutte de l’organisation révolutionnaire contre la société de classes, les armes ne sont pas autre chose que l’essence des combattants mêmes : l’organisation révolutionnaire ne peut reproduire en elle les conditions de scission et de hiérarchie qui sont celles de la société dominante. Elle doit lutter en permanence contre sa déformation dans le spectacle régnant. La seule limite de la participation à la démocratie totale de l’organisation révolutionnaire est la reconnaissance et l’auto-appropriation effective, par tous ses membres, de la cohérence de sa critique, cohérence qui doit se prouver dans la théorie critique proprement dite et dans la relation entre celle-ci et l’activité pratique.

Les conseils ouvriers, Anton Pannekoek, 1936

Se battre pour la liberté, ce n’est pas laisser les dirigeants décider pour soi, ni les suivre avec obéissance, quitte à les réprimander de temps en temps. Se battre pour la liberté, c’est participer dans toute la mesure de ses moyens, c’est penser et décider par soi-même, c’est prendre toutes les responsabilités en tant que personne, parmi des camarades égaux.

Karl Marx, Karl Korsch, 1938

Marx, dialecticien matérialiste proclamait déjà qu’un simple effort de pensée ne suffisait pas à supprimer cette aliénation de soi réelle, inhérente à l’ordre présentement établi et dont les concepts aliénés des économistes bourgeois ne sont que l’une des expressions ; Qu’il fallait pour cela, abolir en premier lieu par l’effort pratique, par un acte social, les conditions réelles qui lui sont sous-jacentes.

La Société du Spectacle, Guy Debord, 1967

Cependant, quand le prolétariat découvre que sa propre force extériorisée concourt au renforcement permanent de la société capitaliste, non plus seulement sous la forme de son travail mais aussi sous la forme des syndicats, des partis ou de la puissance étatique qu’il avait constitué pour s’émanciper, il découvre aussi par l’expérience historique concrète qu’il est la classe totalement ennemie de toute extériorisation figée et de toute spécialisation du pouvoir.

Pouvoir ouvrier à Porto Marghera, années 1970

Ces ouvriers et techniciens apprennent directement les pratiques politiques grâce à une auto-formation qui est avant tout auto-formation à l'apprentissage. La théorisation qui en découle inclut une tentative pour intégrer une pensée politique qui s'oppose au travail salarié et à ses conséquences. L'opéraïsme (…) est capable d'émettre des mots d'ordre extrêmement subversifs qui se combinent avec l'émergence d'une subjectivité politique rebelle. Ils contestent la séparation entre les différents rôles du travail et les rôles sociaux imposés par la division du travail. Pour ces militants, il ne s'agit pas d'exercer une pression de l'extérieur sur le parti ou sur le syndicat, mais plutôt de créer des formes alternatives d'auto-organisation.

Des lascars du LEP Electronique, Paris, décembre 1986

PAPA, MAMAN, TON FILS, TA FILLE, EST DANS LA RUE ! Alors, vous voulez pas sortir ? Qu’est-ce qui se passe ? Vous trouvez que tout va bien ? Ou peut-être que vous n’avez pas de revendications précises ? Hein ? C’est ça ? on va vous dire, un secret, nous non plus ! Et justement, c’est la meilleure ! Celle qui les emmerde le plus car là ils peuvent pas nous couillonner. Ce qui nous fait chier c’est un bloc, on peut pas faire le détail ! Vous dites : "C’est irresponsable, vous ne gagnerez rien..." Vous vous trompez : on a déjà gagné, nous nous sommes trouvés, nous avons communiqué entre nous, nous avons réinventé pour nous l’amitié, la fraternité, l’activité... On a rigolé, comme rarement ! C’est énorme ! NOUS SOMMES DANGEREUX, NOUS DEVENONS INTELLIGENTS ! Alors, les gars, les filles, vous voulez pas venir avec nous ? C’est dans l’air ? Vous ne le sentez pas ? Vous n’entendez rien ? C’est à cause des machines. TROP DE BRUIT, TROP DE FUMEE ! ARRETEZ-LES ! DESCENDEZ DANS LA RUE ! La première usine à descendre soutenir la jeunesse, ça fera un choc, dans dix ans encore on s’en souviendra : "c’est eux ! c’est les premiers qui sont descendus !". Vous savez ce qui les fait chier ; ils se disent ILS DESCENDENT... ILS REMONTERONT JAMAIS... Parce que vous ne dites rien, ils croient que vous ne direz jamais rien ! Que c’est fini, qu’ils vous ont baisés ! Montrez leur que c’est eux, les cocus de l’Histoire ! Descendez qu’on s’explique ! On est de l’autre côté du mur, sans patrons, sans partis, sans syndicats, libres comme les chevaux. Venez parlez avec nous. Sinon on va se faire ramasser ! On vous attend ! hep ! on a besoin de papier !

Philippe Idlas

Auteur·rice : Philippe Idlas

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